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La Fête nationale bulgare : l’union des frères slaves face à l’oppression ottomane

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La Fête nationale bulgare : l’union des frères slaves face à l’oppression ottomane   

 

Par

Jean-Baptiste HUBERT,

Spécialiste en intelligence économique et des questions de sécurité et de défense,

Membre du comité « Sécurité Intérieure » de l’Aqui-IHEDN ;

 

Le 3 mars 2021, la Bulgarie fêtait le 143ème anniversaire du traité de San Stefano, signé le 3mars 1878, mettant fin à près de 500 ans d’occupation ottomane et jetant les bases du futur royaume de Bulgarie avec l’élection d’Alexandre de Battenberg (1857-1893). Héritier de la famille princière allemande de Battenberg, il était neveu du Tsar de toutes les Russies de l’époque, Alexandre II.

Comme nous l’abordions dans l’article sur Vasili Levski([1]), la seconde guerre de libération bulgare a commencé en 1877, suite à l’insurrection d’Avril ( avril 1876), où les comitadjis bulgares de Vasil Levski, l’apôtre de la Liberté, et de Hristo Botev, le successeur et poète de la cause nationale bulgare, ont vaillamment affronté les bachi-bozouks et réveillé le patriotisme et le sentiment national bulgare, exalté et magnifié par le martyr de Vasil Levski et le sacrifice de ces hommes, tombés sous la lame vengeresse des troupes ottomanes lors de la campagne de répression de cette insurrection.

Cet évènement souleva l’indignation de l’Occident comme le démontre les déclarations des plus grandes consciences de l’époque comme Victor Hugo qui déclara dans le journal le Rappel du 30 août 1876 : « l'héroïque peuple bulgare a mérité d'être libre »([2]) ou encore la publication par le Figaro du livre "Voyage au pays des bachibouzouks" qui décrit avec force détails, les atrocités dont se sont rendus coupables les sinistres bachi-bozouks, tristement célèbres pour leur indiscipline et leur brutalité sans borne. N'oublions pas les protestations de l’écrivain britannique William Thomas Stead et celles du Premier Ministre britannique de l’époque, William Gladstone.

Profitant de cette vague d’indignation, d’une  crise de succession à la tête du pouvoir ottoman qui vit monter sur le trône le tristement célèbre Abdülhamid II le Rouge, de la conférence de Constantinople où elle s’assure de la neutralité de l’Autriche-Hongrie en échange des vilayets de Bosnie et d’Herzégovine et de l’intervention de la Roumanie en échange de la reconnaissance des droits de la Roumanie sur la Dobrouda du Sud, la Russie d’Alexandre II, alors en pleine expansion économique et territoriale (conquêtes du Caucase et de l’Asie Centrale…), déclencha la 10ème guerre russo-turque qui lui permit de réaliser plusieurs objectifs idéologiques et stratégiques majeurs :

-étendre l’influence de la Russie impériale à la péninsule balkanique, afin de contrecarrer les ambitions ottomanes dans le Caucase, en Mer Noire et dans les Balkans;

- s’assurer une voie directe et sure aux mers chaudes par le biais de concessions de bases navales auprès d’alliés slaves reconnaissants (Bulgarie, Serbie, Monténégro, les trois peuples entretenant d’excellentes relations avec la Russie);

- réaliser l’union sociale, politique et spirituelle de tous les peuples slaves sous l’égide de la couronne impériale russe, vue comme la protectrice des droits et des libertés des peuples slaves du Sud, afin de refonder un empire orthodoxe, à l’image du défunt empire byzantin, et de renommer Istanbul, Tsargrad([3]). Cette conception du monde a été portée par le mouvement panslave( [4]) qui acquit une influence politique majeure en Russie, suite à la création du Comité slave à Moscou en 1860, avec le soutien des autorités impériales.

Dès lors, les opérations militaires ont véritablement commencé pour le front balkanique, en juin 1877, quand 4 corps d’armée russes, commandés par le grand-duc de Russie Nikolaï Nikolaïevitch, les généraux Iossif Vladimirovitch Romeïko-Gourko (commandant la 2ème division de cavalerie de la Garde), Mikhaïl Leris-Melikov ,  Mikhaïl Dimitrievitch Skobeliev et Mikhaïl Grigorievitch Tcherniaïev (célèbres pour avoir conquis l’Asie Centrale). Appuyés par des volontaires finlandais et des troupes roumaines, ils traversent le Danube et le Nord de la Bulgarie puis passent par le col de Chipka , principal verrou stratégique de la défense ottomane. C’est précisément au niveau de ce col qu'eut lieu la décisive et âpre bataille de Chipka. Elle se déroula en 4 affrontements successifs, du 17 juillet 1877 au 9 janvier 1878, où les comitadjis bulgares iront jusqu’à se battre avec des pierres quand les munitions venaient à manquer comme l’illustre le magnifique tableau du peintre Alexey Popov :

 

 

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La Bataille du Col de Shipka, Alexey Popov

 

Parallèlement à cette bataille titanesque, les troupes roumaines ont progressé vers la ville de Plevna, point stratégique de tout le front bulgare, qu’elles assiègèrent et qui capitula le 7 décembre 1877, suite à la reddition d’Osman Pacha. Cette capitulation et la lente avancée des troupes russes ont eu pour conséquence de faire sauter le verrou stratégique du front bulgare et permirent au troupes russes de s’emparer successivement des villes de Plevna, Lovetch. Là, les hommes de la 16ème division commandés par le général Mikhaïl Skobeliev se signalèrent par leur bravoure. Ils s'emparèrent également d’Andrinople en janvier 1878. Suite à la conquête de cette ville, les Anglais et les Français, soucieux de conserver la libre navigation sur le détroit des Dardanelles, ainsi que leurs avantages politiques et économiques issus des Capitulations, menacèrent de rentrer en guerre contre la coalition russo-serbo-roumaine. Cette situation conduisit les délégations diplomatiques à se réunir à Ayastefanos (San Stefano en français) une banlieue aisée d’Istanbul. Au cours des discussions, la Russie imposa à la Turquie les quelques dispositions suivantes :

 

  • La création d’une  principauté de Bulgarie, reconnue comme autonome par la « Sublime porte », s'étendant de la mer Égée au Danube et à la mer Noire, regroupant la quasi-totalité des bulgarophones, y compris en Macédoine : elle devait rester vassale et tributaire de la « Sublime Porte », mais son prince aurait été choisi par la Russie ;
  • L’extension et la reconnaissance de l’indépendance des principautés de Serbie, du Monténégro et de Roumanie, ainsi que de la Bosnie-Herzégovine qui devient autonome de l’empire ottoman et de l’empire austro-hongrois. En effet, selon les textes, le Monténégro et la Serbie reçoivent des districts adjacents à leurs anciennes frontières. La Roumanie doit céder la Bessarabie méridionale à l'Empire russe et reçoit en échange la moitié nord de la Dobroudja, dont la moitié sud deviendra bulgare. Ceci alimentera l’irrédentisme roumain et sera l’une des causes de la Première Guerre Mondiale, tout comme la cession de la Macédoine à la Serbie qui alimentera le nationalisme et l’irrédentisme bulgare. Ce sera la principale cause de ralliement de la Bulgarie aux Empires Centraux et plus tard de sa neutralité bienveillante vis-à-vis du IIIème Reich.

 

 

[1] Voir article sur Vasil Levski 

 

[2] « Fête nationale de la république de Bulgarie », bulgaria-france.net, consulté le 15/03/2021, disponible sur : https://www.bulgaria-france.net/culture/traditions/03mart.php

 

[3] Le nom de Tsargrad fait référence à la fois à une ancienne prophétie de l’eschatologie orthodoxe qui doit voir les Russes s’emparer d’Istanbul, afin qu’elle redevienne Constantinople/ Tsargrad, ainsi qu’à la vision des panslavistes russes (Danilevski/ Dostoïevski) qui faisait de Constantinople la capitale d’un nouvel empire orthodoxe qui se bâtirait sur les ruines de l’empire ottoman et au moment « où la civilisation germano-romaine entre en décadence » (Danilevski). De nos jours, ce nom est celui du groupe de presse de l’oligarque pro-Kremlin Constantin Malofeev qui cherche à moderniser les conceptions panslaves.

 

[4] Le panslavisme  apparaît au 16ème siècle sous la plume de deux personnalités croates, l’idéologue Vinko Pribojevic  et le missionnaire Juraj Krizanic qui le définissent comme « l’union sociale, politique, religieuse ,voire également l’union linguistique de l’ensemble des populations slaves ». Ces idées seront reprises par le Congrès panslave de Prague lors du Printemps des Peuples de 1848 (en Europe de l’Est, il faut noter le réveil des nations tchèques, slovaques, polonaises, hongroises et roumaines) qui pensera le drapeau panslave et le célèbre chant panslave Hej Sloveni (hymne officiel de la Yougoslavie communiste). Ce courant de pensée, repris par le philosophe russe Nikolai Danilevski, inspira la politique impériale russe durant la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle (1860-1917). Le retour de la Russie, la pensée eurasiste d’Alexandre Douguine et le renouveau patriotique dans les Balkans ont contribué à remettre sur le devant de la scène ce courant de pensée politique.

 

 

 

 

 

 

 



14/05/2021
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