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Crise Ukrainienne: une Nouvelle Bosnie

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Crise Ukrainienne : Une nouvelle Bosnie.

 Comme nous le disions l’année dernière dans l’article du 17 mars 2014 dans la section Géopolitique de notre blog « l-autre-europe.blog4ever.com » , l’inquiétude sur le développement de « l’opération antiterroriste », lancée le 15 avril 2014, s’est trouvée confirmée. Avant d’analyser la situation actuelle et à venir  du conflit ukrainien, qui semble être dans une  situation confuse, oscillant entre poursuite du conflit et cessation des hostilités, il est nécessaire de contextualiser. A partir du mois d’avril, les Sukhoputni Viyska Ukrayiny(les forces terrestres ukrainiennes) ont annoncé une offensive générale sur les territoires des républiques autoproclamées de Louhansk et de Donetsk, afin de maintenir la souveraineté de l’Ukraine et surtout d’asseoir la légitimité, avouons-le chancelante, des nouvelles autorités en poste, à Kiev, depuis le 22 février 2014 .Cette offensive se voulait une riposte décisive et sans équivoque sur les manifestations de masse dans les régions russophones  de l’Est de l’Ukraine, considérées par Kiev comme des actions de déstabilisation, menées  par « des groupes de saboteurs professionnels », c’est-à-dire  les services secrets russes en particulier le FSB([1]).Elles ont abouti à la proclamation de la République populaire de Donetsk le 7 avril 2014 et au refus des séparatistes prorusses d’adopter l’accord de désarmement et d’amnistie, proposé le 17 avril 2014 entre l’Ukraine, la Russie, les Etats-Unis et l’Europe([2]).

Au cours du mois de mai, les forces de l’opération ATO ont  repoussé  les séparatistes des villes de Slaviansk et de Kramatorsk  et repris l’aéroport de Donetsk ([3]) .Ce moment est crucial dans l’évolution de la crise ukrainienne, car on peut le considérer comme le point de basculement vers une situation de guerre civile.

Au cours du mois de juin, l’armée ukrainienne assiège les villes de Louhansk, Donetsk et Slaviansk, ce qui fait penser aux analystes de l’OTAN et à la presse internationale, à  une victoire prochaine des loyalistes. Néanmoins, plusieurs évènements,  en particulier le crash du MH17 de la Malaysia Airlines,  contribuent à internationaliser le conflit et poussent le Kremlin à agir([4]).

Fin août, des unités d’artillerie et  des forces spéciales russes franchissent la frontière de nuit dans la semaine  du 17. Elles réussissent  à briser  l’encerclement autour  de Louhansk et Donetsk, en pilonnant et en menant des actions offensives sur les arrières des positions  de l’armée ukrainienne qui subit durant la mi-août et en septembre, plusieurs centaines de pertes .Des unités entières désertent leurs positions,  à proximité de la frontière russo-ukrainienne([5])l’obligeant à se replier. Cela laisse le temps aux séparatistes de contre-attaquer et de reprendre Donetsk, notamment son aéroport et la région portuaire de Marioupol([6]).

Parallèlement aux opérations militaires, la diplomatie européenne s’est activée dès avril 2014 pour essayer de trouver une solution de sortie de crise. Début avril, le Groupe de Contact UE-Russie  fut  mis en place, à l’initiative de l’Allemagne, et un groupe d’observateurs de l’OSCE est déployé([7]).Des réunions au format « Normandie », en référence à la date du 6 juin 2014, sont organisées régulièrement([8]),puis le 5 septembre 2015, le Groupe de Contact est parvenu à faire accepter le premier cessez- le-feu appliqué le jour même(Minsk 1), ainsi que la publication d’une loi sur le statut spécial des régions du Donetsk et de Louhansk ([9]).S’ensuivent une série de négociations pour la prolongation du cessez- le-feu, entre octobre et décembre ([10]) avec des violations fréquentes de celui-ci([11]), ainsi que des renforcements en hommes et en matériels, tant du  côté des forces gouvernementales, en particulier pour les bataillons de la garde nationale,  que  pour les indépendantistes ([12]).A partir du mois de janvier, suite à un premier échec durant les pourparlers  de paix, notamment sur les questions du retrait des armes lourdes et de la ligne de partage de septembre 2014, les combats se sont intensifiés autour de la poche de Debaltsevo qui passe sous le contrôle des « forces armées de Novorossiya » entre le 17 et le 18 février  ([13]), contribuant à l’effondrement des forces gouvernementales ukrainiennes et à leur impasse stratégique actuelle.

I-Une crise dans la continuité des guerres en Ex-Yougoslavie.

Rappelons, dans les grandes lignes, les forces en présence :

Depuis le mois d’avril 2014 et le lancement de l’Opération ATO, les forces gouvernementales ukrainiennes alignent 139 000 hommes dont 57 000 pour l’armée de terre. La conscription, qui avait été abolie en octobre 2013, a été réinstaurée en mai 2014. A cet effet, Kiev a déployé le long de la frontière nord-est , la 95ème brigade aéromobile, la 1ère brigade blindée, les 30ème et 72ème brigades mécanisées. En même temps, la 28ème brigade mécanisée et la 80ème brigade aéromobile faisaient face aux troupes de maintien de la paix russes(PKF), déployées en Transnistrie depuis 1992 à l’est de la Moldavie, tandis que la 79ème brigade d’assaut aéromobile et la 17ème brigade blindée, au sud-est, faisaient face aux milices prorusses et aux unités ukrainiennes qui  ont ralliée le camp prorusse([14] ).L’aviation ukrainienne est en état d’alerte renforcée, elle dispose de 23 SU24-M et de 24 SU-25 pour les missions de bombardement et d’appui au sol , de 24 MIG 29-S et 14 SU 27 pour la chasse et la supériorité  aérienne et de 24 SU-24 MR pour la reconnaissance ( [15]).De plus, Kiev n’a pas hésité, en mars 2014 par la loi n°4393 , à réactiver la garde nationale ukrainienne(GNU), qui avait été précédemment dissoute le 11 janvier 2000. D’un point de vue stratégique et tactique, la plupart des experts s’accordent à dire que les défaites de septembre et la reprise du chaudron de Debaltsevo, s’expliquent par une impréparation de l’armée ukrainienne à ce type d’affrontement, en dépit de la participation régulière des  forces armées ukrainiennes aux exercices  OTAN Steadfast Jazz  et Sea Breeze depuis 2006,un  manque de coordination et une lenteur des opérations flagrantes, dus à des erreurs et des manquements  de la part des officiers et des sous-officiers  ukrainiens, un déficit en moyens de communication entre les unités de mêlée et les unités de soutien, aboutissant à des tirs fratricides. Mentionnons, un manque de logistique criant, suite aux récriminations de plusieurs soldats ukrainiens loyalistes qui n’avaient ni couverture, ni nourriture et parfois même pas de munitions([16]).Du côté des soutiens politiques et financiers, le camp ukrainien a profité des largesses des milliardaires Sergueï  Tarouta et Ihor Kolomoïsky, principal financier des bataillons Azov et Aïdar. Ils furent parallèlement désignés par le nouveau gouvernement central  pour exercer les fonctions de gouverneurs de Donetsk et Dniepropetrovsk ( [17]).

Dans le cas des indépendantistes prorusses, ils disposent d’environ 10 000 à 20 000 combattants, selon que l’on prenne en compte les chiffres des insurgés ou des observateurs de l’OSCE, les volontaires russes  étant estimés entre 3000 à 4000 hommes. Ils sont organisés en grande partie de milices qui se sont formées spontanément au début du conflit, face à ce qui peut être considéré comme « une agression fasciste ».Cette  mobilisation pour des raisons idéologiques et ethniques des milices prorusses  n’est pas sans rappeler la manière dont ce sont mises en places les milices serbes de la Krajina (province orientale de la Croatie où vivaient une majorité de Serbes  au début de la Guerre de Croatie).

Les principales unités des forces armées de Novorossia sont formées de « la milice du peuple du Donbass », constituée à partir du 7 avril 2014 ( date de la proclamation de la république populaire de Donetsk(RPD))  à l’initiative de Denis Pushilin et Vyatcheslav Ponomariov, ainsi que de «  la milice du peuple de Lougansk », constituée après la prise d’assaut des locaux de l’antenne régionale du SBU, le 6 avril 2014, date de la proclamation de la République populaire de Lougansk  sous l’impulsion de Valeri Bolotov([18]) . Les deux milices comptent chacune entre 3000 et 5000 combattants ([19]). Le 22 mai 2014, les différentes unités de la milice du peuple de Lougansk font jonction avec celles du Donbass pour devenir les forces armées des « Etats Fédérés de la Nouvelle Russie([20]). De plus, la Russie a envoyé un certain nombre d’éléments de ses forces armées y compris des unités des forces spéciales([21]). Sur le plan humanitaire et de l’aide aux populations de la Nouvelle Russie, la Russie a déjà  envoyé 21 convois humanitaires([22]).Ces derniers partent de Rostov-sur-le Don et sont organisés par le MVD et le MCHS([23]). Le principal soutien financier des prorusses est le célébrissime et controversé milliardaire ukrainien Rinat Akhmetov , classé au 47ème rang mondial par Forbes, avec une fortune estimée à 15 milliards de dollars. Il a été le principal financier du Parti des Régions et est l’homme fort du « clan de Donetsk([24]).

 

Dans sa configuration actuelle, les modus operandi des grandes puissances et les conséquences d’une éventuelle résolution du conflit  ukrainien ne sont pas sans rappeler le conflit bosniaque, par plusieurs points communs :

- La nature identitaire et asymétrique du conflit, car le fait déclencheur a été l’abolition de la langue russe comme langue nationale et au niveau des forces en présence, on a une force armée nationale qui dispose officiellement de 30 à 40 000 hommes et de l’autre des milices autonomistes, regroupant à peine 10 000 hommes qui se battent pour préserver leur autonomie et leur identité ;

-Une volonté d’internationalisation du conflit,  voulue en grande partie par les USA, afin de diaboliser et de discréditer la Russie sur le plan international. En effet, depuis la guerre de Géorgie de 2008, on constate que la diplomatie USA recule et perd l’influence qu’elle avait acquise dans les pays post-soviétiques. Cela se vérifie avec l’incident du MH17, où il est clair que les médias occidentaux accusaient ouvertement la Russie sans que la moindre preuve soit établie clairement, comme durant le massacre du marché de Merkélé dans le quartier musulman de Sarajevo, où les Serbes furent accusés, sans preuve, des tirs de mortiers ([25]) ;

-Le retour de la politique du « roll back », car l’influence russe  est actuellement la seule apte à concurrencer l’hégémonisme américain qui suscite des crises à l’intérieur de pays historiquement liés à l’ancienne URSS(révolutions de couleur…). Le changement de posture des USA, qui passent d’une politique d’influence à une politique de soutien à des mouvements séparatistes  dans la région Russie/CEI, s’explique en grande partie par le retour de la puissance russe sur la scène internationale et les différents succès diplomatiques que la Russie enregistre  régulièrement. Citons notamment « la guerre du gaz » en Ukraine en 2007, où Moscou parvient à imposer ses vues sur le prix du gaz, passant par les tronçons ukrainiens du pipeline Droujba  ou encore en 2013, la condamnation pour corruption et abus de pouvoir de Ioulia Timochenko([26])(ancien premier ministre d’Ukraine) ;

-La poursuite du travail de sape d’un éventuel projet européen concurrent et la promotion de l’Union Européenne porte-étendard  des intérêts américains en Europe([27]), commencées avec les guerres en Ex-Yougoslavie. Exemples : le projet de traité de commerce transatlantique et le renforcement des capacités de l’OTAN avec la restructuration de la NRF([28]) qui participera, en octobre prochain, à l’exercice Trident Juncture 2015.L’objectif affiché est de préparer la force de réaction rapide et de la doter d’une nouvelle composante d’intervention immédiate( Very High Readiness Joint Task Force) qui sera sous commandement allemand et comptera, entre autre, un commandement des opérations spéciales sous autorité polonaise([29]) . Ces deux faits montrent bien que les idéologues bellicistes et les fondations qui leur sont proches poursuivent les logiques de la guerre froide, notamment : la Fondation pour le Nouveau Siècle Américain et la National Endownment for Democracy, connue pour son implication dans les guerres en Ex-Yougoslavie et dans le financement de la Révolution Orange. A cette fin, les USA ne se privent pas de jouer des divisions politiques des Européens. Ils s’appuient sur des pays hostiles au projet européen originel, comme la Grande-Bretagne, où la campagne des législatives britanniques a révélé la défiance  britannique pour l’UE. Citons aussi l’Allemagne, où il y a un renforcement de l’entente entre les services de renseignements américains et allemands, en particulier le BND, qui a espionné, la chancelière Angela Merkel([30]),sur demande de la NSA. Ce service s’est aussi fait connaître par ses actions en faveur de l’Uçk  durant la guerre du Kosovo(Opération Fer à cheval, missions d’instruction clandestine…)([31]).Il faut aussi souligner  la politique atlantiste de certains pays  en particulier l’Allemagne et la France,  qui n’ont pas envoyé de délégation à la Parade de la Victoire du 9 mai, alors que ces pays qu’ils y ont été invités.Par ailleurs, la résiliation prochaine du contrat Mistral avec la Russie , offensée, risque de fermer les portes du marché russe aux investisseurs français([32]).

Néanmoins, à la différence des guerres en Ex-Yougoslavie, l’Ukraine est, pour Washington, un territoire où il y a de forts enjeux géoéconomiques dans le domaine de l’énergie. Depuis la Révolution Orange, les USA cherchent à promouvoir le pipeline BTC([33]) comme trajet alternatif d’approvisionnement à l’oléoduc Droujba et à contrecarrer le récent projet Turkish Stream . Ce pipeline est d’ailleurs à l’origine de la « guerre du gaz » en Ukraine en 2007. Certains objectifs affichés par les néonazis de Pravy Sektor(destruction des tronçons ukrainiens de l’oléoduc Droujba, contrats avec les USA et mise en place d’une production gazière fondée sur le gaz de schiste) démontrent bien cet impératif stratégique, ainsi que l’influence des idéologues de Washington auprès des nouvelles autorités de Kiev et  l’attitude belliciste de Washington, en dépit des accords Minsk II, signés le 14 février([34]).

Un accord de cessez- le -feu contesté et contestable.

Les accords  dits de Minsk II, signés le 14 février, ont permis de stabiliser le conflit et de reprendre les négociations entre l’Ukraine et la Russie, afin de trouver une solution de sortie de crise. Actuellement, les solutions privilégiées par la majorité  des parties au conflit (Russie, UE, OSCE) serait au minimum la reconnaissance de l’autonomie de la Nouvelle-Russie, comme le propose le délégué italien de l’OSCE Gerntiloni. Elle permettrait de sortir de la crise sans que Kiev ne perde la face ([35]).La deuxième solution serait  la fédéralisation de l’Ukraine, avec la reconnaissance officielle de l’Union des Républiques populaires, comme dans le cas de la Bosnie suite aux accords de Dayton([36]). Néanmoins, évoquer cette solution relève d’une stratégie de provocation qui n’est pas sans rappeler l’attitude des Américains lors des accords de Rambouillet en 1999 durant la guerre du Kosovo([37]). En effet, la fédéralisation  signifierait la mort programmée de l’économie de l’Ukraine de l’Ouest puisque historiquement, le développement économique  de l’Ukraine et son potentiel économique actuel (complexe industriel, chantiers navals et aéronautiques, centres de recherche scientifiques …) se sont développés dans l’est de l’Ukraine(Krivoï-Rog et bassin de Donetsk).Cela signifierait une dépendance économique vis à vis  de la Russie pour les années à venir, ce que Kiev ne veut absolument pas([38]).Néanmoins, à l’instar des accords Minsk I qui ont échoué en octobre, (violations du cessez le feu et refus de retirer les armes lourdes),tout tend à penser que les  accords Minsk II ont été signés pour des raisons tactiques. Notamment, Kiev profite ouvertement du cessez -le -feu pour combler ses pertes et préparer ses troupes, sous la direction d’instructeurs britanniques ,américains et canadiens détachés d’unités parachutistes(  600 hommes de la 173rd Airborne Brigade américaine, 75 instructeurs britanniques vraisemblablement du 22nd SAS et 200 instructeurs canadiens  qui ont reçu pour consigne de pas instruire les unités de la GNU, jugée trop extrémiste)([39]) . De plus, ces trois pays reconnaissent, plus ou moins officiellement, livrer des armes à Kiev, malgré la reprise du dialogue entre Washington et Moscou ([40]). De son côté, Moscou continue à soutenir les insurgés par l’envoi d’instructeurs des unités spéciales russes et renforce le potentiel  militaire des insurgés avec la mise en place d’exercices militaires (exercice militaire du bataillon « Viking » des prorusses)([41]). Moscou  profite de cette situation pour montrer au monde son potentiel militaire comme l’a démontré le défilé militaire du 9 mai 2015,qui a révélé le nouveau char de combat russe T 14 Armata([42]). Ce défilé a fait figure de mise en garde pour les Américains et l’OTAN, car seuls les chefs d’Etat membres de l’OTSC/ODKB (Organisation du Traité de sécurité collective) étaient présents et le 70ème anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie a aussi eu un impact symbolique et diplomatique majeur,  quand on connait la coloration politique des bataillons de la GNU .Au cours du  conflit, Moscou a aussi procédé à des renforcements au sein de ses troupes parachutistes qui se sont vues dotées de nouveaux matériels militaires, notamment le BMD4M Rakushka et le système de fantassin du futur Ratnik([43]) .Au niveau doctrinal, ce conflit permet à la Russie de montrer aux Etats-Unis  qu’elle a mis en place une stratégie efficace pour contrer la stratégie américaine du « chaos maitrisé », qui  consiste à susciter une crise, à la sur-médiatiser en donnant une grille de lecture qui va dans le sens des intérêts américains. Par exemple, le faux massacre de Raçak au Kosovo, présenté comme tel au monde par CNN, a permis de mobiliser « la communauté internationale » et d’agir de manière masquée. La stratégie russe dite « de guerre hybride » comme l’a décrit le chef d’état-major général russe Valéri Gerasimov (Courrier militaire et industriel, février 2013), est en fait le pendant russe  du « chaos maitrisé », visant la réalisation d’objectifs stratégiques par des moyens non militaires ( économiques, humanitaires, médiatiques, cyberguerre, appui à des mouvements séparatistes ,opérations spéciales) qui facilitent les opérations militaires réalisées sous couverture d’une mission de maintien de la paix([44] ). Ceci explique en partie, pourquoi la Russie ne veut pas d’une mission d’interposition, menée sous l’égide de l’ONU ([45]). Afin de donner un écho diplomatique et politique à cette nouvelle doctrine russe, les forces armées russes ont maintenu l’exercice antiterroriste russo- serbe « Srem 2014 . Ayant eu lieu en novembre 2014, ce dernier souligne que Moscou appuiera désormais toutes les initiatives qui nuiraient aux intérêts américains en Europe centrale et orientale ([46]).Toujours est-il que, malgré la signature des accords Minsk II, le 18 mai 2015 les forces ukrainiennes semblaient avoir repris le pilonnage de Donetsk([47]), violant ainsi le cessez- le-feu au risque d’aggraver davantage ce conflit qui a déjà fait presque 5000 morts et 10 000 blessés en un an, d’après les chiffres de l’OSCE([48]), laissant l’Ukraine divisée et meurtrie avec des chances de réconciliation de plus en plus minces([49])

 

 

Le devenir de l’Ukraine : un pays meurtri et divisé au cœur d’une région instable

Dans un cas comme dans l’autre, c’est l’ensemble du peuple ukrainien, prorusses comme pro-Maïdan, qui aura à souffrir des conséquences économiques, sociales et géopolitiques  de ce conflit. Au niveau économique, l’Ukraine, qui était déjà un des pays d’Europe parmi les plus en difficulté, va se retrouver dans une situation de dépendance pour reconstruire le pays et remettre en état de fonctionnement de ses principales infrastructures . Cette aide sera sûrement assurée par des financements européens et américains avec à la clé de nombreuses privatisations et rachats  d’entreprises  ukrainiennes par des groupes européens et plus encore américains. Washington est l’un des principaux soutiens financiers du nouveau gouvernement central ukrainien. Le FMI, la Banque Mondiale et la BERD en appuieront le financement,  tandis que la Russie n’hésitera pas à financer les prorusses, en dépit d’une situation d’inflation qui règne actuellement en Russie. Toujours est-il que depuis le début du conflit, le PIB ukrainien s’est contracté de 6,8% en 2014 et une baisse de 7,5% est annoncée pour 2015, avec un risque de défaut de paiement quasi certain, ce qui explique que les prêt accordés à l’Ukraine se font de plus en plus rares et les banques risquent de participer à une privatisation en masse des grandes entreprises ukrainiennes dans des conditions particulièrement opaques, favorisés par une hausse de la corruption. La récente démission d’Igor Kolomoïsky  du poste de gouverneur de Dnipropetrovsk et les arrestations de haut fonctionnaires n’y changeront rien ([50]).

En effet,  au niveau social, le phénomène de la corruption, inquiétant dans l’Ukraine d’avant crise ( 152ème sur 182 pays, avec un IPC de 2,3 selon le rapport IPC 2011 de Transparency International([51])),s’est renforcé. Il y a une collusion de plus en plus flagrante entre le pouvoir politique et le milieu des affaires comme le montre le départ de spécialistes étrangers,  notamment Jamboul Ebanoïdze, directeur du Service d'État de l'enregistrement ou encore Aivaras Abromavičius , ministre lituanien du développement économique et du commerce, qui a démissionné de son poste le 20 mai. Il  évoquait des obstacles  bureaucratiques, la volonté d’Arseni Iatseniouk(actuel Premier Ministre d’Ukraine) de freiner les réformes  et la dépendance du gouvernement actuel envers les oligarques ([52]). Cette situation risque d’ailleurs d’ouvrir une nouvelle crise ministérielle puisque des désaccords sont apparus entre les proches du premier Ministre et ceux du président sur la nomination des membres du Comité anti monopôle et du Fonds des biens publics, le tout sur fond de scandales de corruption. Certains députés extrémistes de la Rada notamment  Semion Sementchenko, ex commandant du bataillon Donbass, envisagent même un changement de pouvoir, voir un coup d’Etat, car les volontaires néo-nazis n’ont qu’une confiance très limitée dans le nouveau gouvernement ([53]) .

De plus, comme en Bosnie ou au Kosovo, les organisations criminelles  locales, déjà très internationalisées  ,  risquent de profiter  de cette crise pour développer leurs « activités ». En effet, le plus puissant mafieux ukrainien,  Semion Mogilevich   a développé ses trafics notamment  aux USA et en Israël. Les « activités » illicites en expansion sont :

-  la prostitution qui a gravement touché l’Ukraine durant les années 90 ;

- le clientélisme politico-affairiste dont l’exemple vivant est « le clan de Donetsk » ;

- le trafic de drogue dont l’Ukraine est une voie de passage (drogue du Kosovo, de la Russie et de l’Asie Centrale)

-le trafic d’armes puisque l’Ukraine continue de livrer des armes à des pays sous embargo([54]).

Cette situation a déjà été observée en Bosnie, au Kosovo et en Tchétchénie, où des organisations criminelles russes vendaient des armes et équipements militaires lourds aux indépendantistes tchétchènes ([55]). Ce dernier point est particulièrement grave  au niveau géopolitique, car dans la région subsistent des situations géopolitiques instables notamment :

-en Transnistrie  qui n’est toujours pas reconnue par la Moldavie voisine et où stationnent des  troupes russes ;

-En Macédoine, des troubles ont éclaté dernièrement contre le gouvernement. On y trouve également une très forte minorité albanaise qui soutient ouvertement l’Uçk et sa branche locale, l’Uçk-M([56]) ;  

-au Kosovo et en Bosnie, où des filières de recrutement djihadistes pour la Syrie ont été repérées et pour certaines démantelées([57]). Sergueï Lavrov rappelait la semaine dernière à l’UE à juste titre, ce risque d’embrasement mafio-terroriste dans la région([58]).

Cette probable situation exige  un  règlement politique du conflit  qui passe avant tout par sa stabilisation avec la mise en place de contingents  locaux, encadrés par des membres de l’OSCE  et des Casques Bleus de l’ONU ayant l’expérience de ce type de conflit. En parallèle, l’envoi d’une mission d’enquête judiciaire et d’assistance policière pourrait être chargée des enquêtes sur les éventuels crimes de guerre, afin d’établir les responsabilités, prononcer des jugements  en accord avec les parties au conflit, notamment la Russie qui a déjà émis un certain nombre de mandats d’arrêts internationaux et de former les forces de sécurité. Les rapports d’enquêtes ainsi que les preuves devraient être remis à une autorité indépendante, choisie pour son impartialité et les équipes d’enquêtes être composées de locaux et de membres de la mission EULEX qui ont l’expérience d’enquêtes dans des pays en conflits, puisque cette mission a été déployée au Kosovo. Ces contingents devraient être issus de pays non parties au conflit, issus des forces de polices ou militaires, parfaitement neutres. De plus, il faudrait la mise en place d’une coopération renforcée  entre INTERPOL, les autorités ukrainiennes, les autorités prorusses et la Russie, afin de faire la lumière de manière impartiale sur les responsabilités de chacun dans le conflit, sans oublier d’enrayer le développement des mafias locales. Le recours à des sociétés militaires privées dans ce conflit serait une grave erreur,  car cela permettrait aux grandes puissances  en particulier aux USA  de favoriser leurs intérêts et nuirait gravement au processus de paix, à l’image des membres de l’IPTF(International Police Task Force ). Ils ont été déployés en Bosnie en 1997 et employés par DynCorp International dont un certain nombre a été impliqué dans le trafic d’êtres humains et les réseaux de prostitution, faits révélés par l’affaire Bolkovac ([59] [60]).

En substance, le conflit ukrainien pose aussi la question du devenir de l’Europe  et du projet européen : « Est-ce que face à cette nouvelle  crise, bien plus grave par ses possibles conséquences que les guerres en Ex-Yougoslavie , l’Europe va réellement repenser son architecture de sécurité en intégrant la Russie ou va-t-elle continuer à être le porte-étendard de l’impérialisme américain, sachant que la plupart des experts, y compris britanniques, sont d’accord pour dire que les guerres menées par Washington n’apportent que le malheur, la division et le retour de la logique de guerre froide en Europe ? »([61])



[1] Rodier Alain, ,La Crise ukrainienne, Scénario d’une nouvelle guerre froide pp-26-40, RAIDS N°337, juin 2014

[2] ibid

[3] ibid

[4] ibid

[5] ibid

[6] ibid

[7] http://fr.sputniknews.com/defense/20150220/1014817190.html Experts hollandais: pas d’activité militaire dans le sud de la Russie

[8] http://fr.sputniknews.com/international/20150103/203359237.html Ukraine: nouvelle rencontre "format Normandie" prévue le 5 janvier-Sputnik News- 3 janvier 2015

[9] http://fr.sputniknews.com/international/20150319/1015246910.html Donbass: Porochenko reporte l'octroi du statut spécial- 19 mars 2015.

[10] http://fr.sputniknews.com/international/20141219/203262723.html Ukraine: des négociations du groupe contact vendredi (insurgés)-Sputnik news 19 décembre 2014

[11]http://fr.sputniknews.com/international/20141229/203329637.html Ukraine: les insurgés dénoncent quatre violations du cessez-le-feu-Sputnik News-29 décembre 2014

[12] http://fr.sputniknews.com/international/20141022/202783738.html Ukraine/cessez-le-feu: la Garde nationale reçoit de nouveaux blindés-Sputnik News-22 octobre 2014

[13] Pierre Stefani, Guerre en Ukraine, Le « chaudron de Debaltsevo »,pp 54-60,RAIDS N°348,mai 2015

[14] Rodier Alain, RAIDS N°337 juin 2014,La Crise ukrainienne, Scénario d’une nouvelle guerre froide pp-26-40

[15] ibid

[16] Jonathan Alpeyrie,Guerre dans l’est de l’Ukraine, « RAIDS » au cœur des combats,pp.42-55,RAIDS N°341, octobre 2014  

[17] Rodier Alain, RAIDS N°337 juin 2014,La Crise ukrainienne, Scénario d’une nouvelle guerre froide pp-26-40

[18] Globalwatchterror.ch

[19] Jonathan Alpeyrie,Guerre dans l’est de l’Ukraine, « RAIDS » au cœur des combats,pp.42-55,RAIDS N°341, octobre 2014  

[20] ibid

[21] Voir article sur les visages du conflit ukrainien et les forces en présence

[22] http://fr.sputniknews.com/international/20150103/203358282.html Donbass: la Russie enverra un nouveau convoi humanitaire en janvier-3 janvier 2015

[23] Voir annexe et glossaire.

[24] Rodier Alain, RAIDS N°337 juin 2014,La Crise ukrainienne, Scénario d’une nouvelle guerre froide pp-26-40

[25] Diana Johnstone, la croisade des fous, première guerre de la mondialisation, Editions le Temps des Cerises, 2005, Paris.

[26] http://fr.ria.ru/world/20130118/197271164.html Ukraine: Ioulia Timochenko soupçonnée de meurtre (Parquet général)-RIA Novosti.

[27] Zbigniew Brzezinski,le Grand Echiquier, l’Amérique et le reste du monde, pp, Editions Bayard,Paris, 1997

[28] Voir annexe et glossaire

[29] Jean Pierre Husson,une nouvelle NRF pour 2015,p19,RAIDS N°348,mai 2015

[30] http://fr.sputniknews.com/analyse/20150405/1015513780.html Des amis jurés : pourquoi Washington « écoutait » Berlin ?- Sputnik news-5 mai 2015.

[31] Pierre Péan, Kosovo, « une guerre juste » pour un Etat mafieux,Fayard,Paris,2013

[32] http://fr.sputniknews.com/international/20150515/1016083679.html Mistral: Paris propose de résilier le contrat, remboursant à Moscou 785 M EUR-Sputnik news-15 mai

[33] Voir annexe et Glossaire

[34] http://fr.sputniknews.com/points_de_vue/20150213/1014658660.html Sommet de Minsk. Vers une nouvelle illusion de paix ?

[35] http://fr.sputniknews.com/international/20150503/1015933166.html Gentiloni: Kiev doit octroyer l'autonomie au Donbass-Sputnik News-03 mai 2015.

[36] Diana Johnstone, la croisade des fous, première guerre de la mondialisation, Editions le Temps des Cerises, 2005, Paris.

[37] Pierre Péan, Kosovo, « une guerre juste » pour un Etat mafieux,Fayard,Paris,2013

[38] http://fr.sputniknews.com/international/20141127/203094708.html-Les Ukrainiens veulent un Etat unitaire, pas la fédéralisation- (Porochenko)

[39] Pascal le Pautremat, des voix en faveur de l’envoi d’armes aux Ukrainiens, p19, RAIDS N°347,avril 2015/

http://fr.sputniknews.com/international/20150414/1015659938.html Ukraine: envoi d'environ 200 militaires canadiens-Sputnik News-14 avril 2015.

[40] http://fr.sputniknews.com/presse/20150518/1016119235.html Les USA et la Russie se parlent de nouveau-Sputnik news-18 mai 2015

[41] http://fr.sputniknews.com/photos/20150512/1016039142.html Ukraine: exercices du bataillon motorisé "Vikings" des insurgés de Donetsk-Sputnik News-12 mai 2015

[42] http://fr.sputniknews.com/international/20150430/1015909437.html Parade de la Victoire: la Russie dévoile le nouveau visage de ses troupes blindées-30 avril 2015.

[43] Jean Pierre Husson, Montée en puissance des VDV,pp 62-71,RAIDS n°344,janvier 2015

[44] Jean le Cudennec, Russie : la guerre hybride ou la guerre moderne russe, pp 28-29,RAIDS N°344,janvier 2015

[45] http://fr.sputniknews.com/international/20150410/1015596586.html La Pologne prête à envoyer des forces de maintien de la paix en Ukraine-Sputnik news-10 avril 2015

[46] Jean Pierre Husson, Serbie : Exercice antiterroriste «Srem 2014 », p 23, RAIDS N°344,janvier 2015

[47] Ukraine: les militaires reprennent les pilonnages de Donetsk-Sputnik News 19 mai 2015

[48] http://www.huffingtonpost.fr/2015/01/22/ukraine-conflit-pro-russes-5000-morts-violences-donetsk_n_6522474.html Ukraine : Le conflit avec les pro-russes a fait plus 5000 morts, nouvelle escalade des violences à Donetsk-22 janvier 2015

[49] http://fr.sputniknews.com/points_de_vue/20150402/1015467226.html « Le Donbass ne refera jamais partie de l’Ukraine ». Entretien avec Konstantin Dolgov, 02 avril.2015

[50] http://fr.sputniknews.com/international/20150405/1015503871.html Ukraine: des années de dépendance de l'aide extérieure à venir-5 avril 2015

[52] http://fr.sputniknews.com/presse/20150520/1016162408.html Les spécialistes étrangers fuient le gouvernement ukrainien-Sputnik News-20 mai 2015

[53] http://fr.sputniknews.com/international/20150518/1016127512.html Ukraine : un député prône un changement de pouvoir-Sputnik news-18 mai 2015.

[54] Rodier Alain, RAIDS N°337 juin 2014,La Crise ukrainienne, Scénario d’une nouvelle guerre froide pp-26-40

[55] Hélène Blanc,le Dossier Noir des mafias russes, pp 83-86,Editions Bazac-Legriot, Paris, collection « l’envers du décor »,Paris,1998 

[56] Pascal le Pautremat, une crise aux soubresauts régionaux, p 12, RAIDS N°337,juin2014.

[57] Jean Pierre Husson, Filière djihadiste pour Daech et Kosovo :volontaires djihadistes en hausse , p 21 et pp 24-25,RAIDS N°344,janvier 2015.

[58] http://fr.sputniknews.com/international/20150515/1016099285.html Lavrov: l'UE doit faire attention au terrorisme dans les Balkans-15 mai 2015 .

[59] http://www.bosnia.org.uk/news/news_body.cfm?newsid=2783 Kathyrn Bolkovac, « Human trafficking, Bosnia and Herzegovina (News),World news,Law,Europe », The Bosnian Institute, London,‎ 22 janvier 2011.

[60] Voir le film The Whistleblower de Larysa Kondracki

[61] http://fr.sputniknews.com/international/20150428/1015873970.html Journal britannique: les guerres US porteuses de malheurs pour l'Europe-Sputnik News-28 avril 2015.



27/05/2015
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