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Macédoine et Crise des migrants : vers une nouvelle crise balkanique ???

L’attentat de la nuit du 9 au 10 mai 2015 qui a causé la mort de 22 personnes dont 8 policiers et durement touché le centre-ville de Kumanovo( deuxième ville de Macédoine peuplée en majorité de membres de la minorité albanaise et située sur la frontière entre le Kosovo et la Macédoine)([1]) a ravivé les tensions latentes ,entre la communauté macédonienne majoritaire et la minorité albanaise, dues à la guerre civile de 2001. Ce conflit, certes de faible envergure([2]), est à l’origine du fort irrédentisme de la minorité albanaise de Macédoine. Il a provoqué un blocage constitutionnel sur les droits de la minorité albanaise en 2006([3]), malgré les avancées des accords d’Ohrid de 2001.De même, depuis 2008 et l’indépendance unilatérale du Kosovo-Métochie par l’UçK, Pristina se sert des minorités albanaises, en particulier celle de Macédoine, pour réaliser un projet de Grande Albanie qui réunirait l’ensemble des minorités albanaises de la région au sein d’un seul et même Etat, ce que met en lumière l’arrestation de 30 terroristes supposés suite à l’attentat. En effet, l’enquête a permis d’établir que les inculpés se réclamaient d’un mouvement baptisé « Nouveau Uçk » et qu’ils étaient tous anciens membres  de l’UçK historique([4]),les journalistes macédoniens ainsi que les autorités macédoniennes  ont été jusqu'à évoquer l’implication des services secrets américains et britanniques , ce qui fait planer une atmosphère rappelant celle de la guerre civile de 2001([5]).

A ce fait inquiétant, il faut rajouter l’afflux massif des réfugiés de guerre syriens sur les côtes grecques et en Macédoine (140 000 migrants en janvier 2015, 75 000 migrants au cours de l’été 2014)([6]).Parmi ces migrants, il y aurait d’après Europol et son directeur Rob Wainwright, entre 3000 et 5000 terroristes infiltrés parmi les migrants([7]) , ce qui laisse présager  d’une aggravation de la crise macédonienne, voire d’une nouvelle crise balkanique, qui déstabiliserait durablement l’Europe.

I-le blocage institutionnel de 2006, l’emprise des trafics et le soutien de la Macédoine à la Russie, aux origines de la crise macédonienne.

Comme nous l’expliquions dans l’article sur l’histoire de la Macédoine( voir section Géopolitique article La Macédoine : une histoire complexe et conflictuelle et une identité incertaine.), la crise actuelle à laquelle fait face le gouvernement macédonien, dirigé par  le VMRO-DPMNE de Nikola Gruevski([8]), a pour origine le boycott du Parlement en 2006 par le DUI d’Ali Ahmeti([9])  par rapport à l’adoption d’une loi relative au statut des minorités au sein de la République de Macédoine. Notons que les Albanais de Macédoine représentent la principale minorité nationale au sein de la Macédoine avec 40% de la population et deux villes ,Tetovo et Kumanovo, où elle est majoritaire. Cependant ,le contexte de l’indépendance unilatérale du Kosovo le 17 février 2008 a considérablement tendu les relations interethniques entre Albanais et Macédoniens, au point de déboucher sur des émeutes en mai 2008([10]). De même, les élections législatives d’avril 2014, autre évènement à l’origine de la crise gouvernementale que traverse, ont vu la réélection  du VMRO-DPMNE. Elles ont été marquées par un boycott des partis d’opposition, notamment le SDSM([11]) qui accusaient le gouvernement de Nikola Gruevski de corruption, d’écoutes illégales et même d’être en partie responsable des attentats de Kumanovo de mai 2015([12])

Parallèlement, cette situation a provoqué  depuis 2007-2008, une augmentation exponentielle des trafics, notamment de clandestins(hausse de 145% entre 2005-2006), du trafic d’armes  malgré les 20000 armes détruites par les forces de sécurité macédoniennes et les équipes du PNUD en 2007et 2008,  avec le soutien des polices serbe, slovène, bosniaque, autrichienne. Elles ont mis au jour de nombreuses caches d’armes de l’ AKSH ([13])et de l’UçK-M([14]), dans l’ouest de la Macédoine, à proximité des villes de Struga,Tetovo, Kicevo et même dans la capitale, Skopje([15]). Cette recrudescence des trafics s’explique par le fait que l’UçK, constituée de criminels albanais reconvertis en combattants de la liberté([16]) et ses différentes émanations(TMK,PDK)([17]), a pris le contrôle du trafic de drogue, d’armes ,d’êtres humains et d’organes dans la région, depuis 2000 et que la Macédoine se trouve au croisement des deux principales routes des trafics dans les Balkans : la traditionnelle route Turquie-Bulgarie-Macédoine et la nouvelle route Albanie –ARYM comme le confirmait un responsable de premier plan des douanes de Macédoine([18])

Pour rajouter à une situation des plus confuses, le gouvernement macédonien , bien que pro- atlantiste et pro-européen ([19]) ,a refusé de s’associer aux sanctions prises par l’Union Européenne contre la Russie durant l’hiver 2014, suite au conflit ukrainien. Cela s’explique par le fait que le gouvernement macédonien entretient un  partenariat économique particulièrement dynamique dans le domaine de l’énergie avec la Russie avec le projet TurkishStream , projet destiné à remplacer le projet South Stream. Ce dernier projet de gazoduc devait permettre à Moscou de s’affranchir de sa dépendance du gazoduc Droujba, mais  a été abandonné par Moscou à cause de son coût et de pression de l’Union européenne à cause du conflit ukrainien. Turkish Stream permettrait à la Macédoine d’être moins dépendante de l’Union Européenne et des  USA, lui permettant de développer son industrie pétrolière. Cependant, ce non alignement sur les positions euro-atlantistes et la situation économique et sociale difficile ont provoqué l’ire des partis macédoniens de l’opposition, notamment le SDSM qui a appelé à  manifester contre le gouvernement  le 11 et le 12 mai 2015 ([20]). Selon certains experts comme Jean-Pierre Rougeyron  , fondateur du Cercle Aristote, ces manifestations  seraient téléguidées par le Département d’Etat, dirigé par Victoria Nuland, déjà très impliqué dans le conflit ukrainien. Elles seraient soutenues sur place par Mr Baily ainsi que l’Open Society de Georges Soros, à l’image du Maïdan ukrainien. Le but de la manœuvre aurait été de faire échouer le projet Turkish Stream et le projet Route de la Soie qui aurait permis à la Russie de conforter son influence et sa puissance économique dans les Balkans([21]).De plus, Stefan Harderer, analyste politique du Wiener Zeitung, insiste également  sur  l’aspect géoéconomique et géostratégique de cette « révolution colorée », car si le projet Turkish Stream venait à être réalisé, cela concurrencerait  le BTC américain([22]) et ferait entrer la Macédoine dans la sphère d’influence russe, ce qui contrevient aux objectifs poursuivis par l’administration américaine. Notamment Victoria Nuland , secrétaire d'État assistant pour l'Europe et l'Eurasie, bien connu pour son « Fuck the UE » durant l’Euromaïdan([23]), affirmait, lors de la visite de Barack Obama  à Skopje en juillet 2014, que la Macédoine "méritait sa place dans l'Otan et l'Union européenne"([24]), ce qui a considérablement tendu la situation durant l’année 2015. En effet, Sergueï Lavrov , ministre russe des affaires étrangères,  a fait part de ses inquiétudes à l’Union Européenne, à l’occasion d'une rencontre organisée vers le 15 mai  2015 avec son homologue bosno-serbe Milorad Dodik ([25]),sur le regain du nationalisme ethnique ainsi que la montée en puissance du terrorisme islamiste, sans le nommer, dans les Balkans([26]), d’autant plus en Macédoine qui se trouve particulièrement vulnérable face à ce phénomène.

II-l’Uçk et le soutien au terrorisme islamiste radical : une double menace intérieure et extérieure  pour la Macédoine et les pays voisins .

La montée en puissance du terrorisme islamiste radical constitue pour la Macédoine une double menace intérieure et extérieure. Sur le plan intérieur, cela conduit à une exacerbation des tensions entre Albanais de Macédoine (90%de musulmans) et les Slavo-Macédoniens(majoritairement chrétiens orthodoxes) en rajoutant une nouvelle tendance centrifuge que constitue le fait religieux. Conjointement, cela renforce l’emprise économique et politique des mouvements mafio-terroristes albanais et kosovars en Macédoine, car Ali Ahmeti, le chef du DUI, est un des fondateurs de l’UçK et est un proche de HashimThaçi, suspecté de crimes de guerre, de trafic d’organes et d’être l’un des fondateurs du « Gang de Drenica » avec les frères Haradinaj([27]). Cette collusion est renforcée par le soutien discret ,mais efficace, des diverses institutions du Kosovo(entraînement, fourniture d’armes, financement sur base du trafic de drogue) à des mouvements islamistes djihadistes qui traversent clandestinement la poreuse frontière entre la Macédoine et le Kosovo .Pour preuve, l’arrestation d’un citoyen turc le 12 octobre 2005, au passage de Kafasan  sur le lac d’Ohrid, qui se trouvait en possession d’une jeep immatriculée en Albanie contenant un kilo de cocaïne ,4 kilos d’héroïne et un demi kilo de haschich , conditionnés dans 19 paquets, ce qui souligne l’implication d’anciens membres de l’Uçk. Leurs réseaux sont également actifs dans le nord de l’Albanie avec des caches d’armes , des centres de stockage de drogue, ainsi que des centres de détention et d’exécution pour le trafic d’organes dont  l’existence a été mise au jour ,suite au scandale de la Maison Jaune de Rripë, près de Burrel, dans le nord de l’Albanie([28]). Ou encore, l’arrestation de trois islamistes français d’origine marocaine en janvier 2006,au terme d’une opération de police menée à Pristina, qui avaient gagné le Kosovo  pour se mettre sous la protection d’une mystérieuse « maison wahhabite de sécurité », au cœur de Pristina([29]).

De même, le terrorisme islamiste constitue une menace extérieure pour la Macédoine car , à côté de l’UçK, d’autres mouvements se chargent de recruter, d’entrainer et d’acheminer des djihadistes balkaniques et des combattants étrangers en Syrie ou dans les autres «  terres de djihad » : le parti islamiste kosovar albanais LISBA, dirigé par Arsim Krasniqi et Fuad Ramiqi ,connu pour avoir reçu des financements de la part de l’Arabie Saoudite pour construire deux des plus importantes mosquées dans les Balkans([30]). Depuis 2011, la montée en puissance de la menace terroriste islamiste a pris une telle ampleur qu’elle impacte tout la région des Balkans et a obligé les services de renseignement  régionaux à agir. En janvier 2015, au Kosovo ,l’Agjencia Kosovare e Inteligjencës, issue du tristement célèbre SHIK, les services de renseignement de l’ex-UçK , a été obligée d’interpeler  une soixantaine de personnes originaires du Kosovo(principalement de Pristina,d’Urosevac,deFerizaj et de Gnijlane), soupçonnées d’avoir fait le djihad en Syrie aux côtés de Daech et du front Al Nusra([31]). En Bosnie, au début de l’ année 2015, la SIPA/DAIZ([32]) a lancé  les operations Damask et Sablija, en cooperation avec  le ROS des carabiniers italiens([33]).Elles ont permis de  localiser et neutraliser un centre de recrutement et d’entrainement sur le territoire même de la Fédération croato-bosniaque situé à  Cerska, près de Vlasenica . Ces opérations ont permis de révéler des complicités au sein des services de police de Vlasenica avec des terroristes islamistes. En effet, deux des policiers inculpés étaient en charge de l’instruction tandis que le commandant en second de la police de Vlasenica était en charge de l’approvisionnement en armes et en munitions. Elles ont également permis l’arrestation de Hussein Bilal Bosnic( connu pour être un recruteur  important de djihadistes dans les Balkans  et un des principaux dirigeants de la communauté wahhabite de Gorna Maoca en Bosnie Herzégovine) tout en permettant aux enquêteurs italiens de mettre au jour les filières de recrutement djihadistes en Italie, de mettre la main sur un certain nombre de leurs responsables notamment  Ajhan Veapi et Arslan Osmaniski, déclarés résidants en Frioulie-Vénétie julienne. Ils onté été inculpés pour avoir organisé les sermons de Bosnic  au centre islamique de Pordenone. De nombreuses pièces à conviction trouvées sur les lieux, prouvent l’implication du réseau de Frioulie-Vénétie julienne dans cette affaire( [34]) et soulignent l’internationalisation et la structuration avancée des réseaux djihadistes en Europe . Parallèlement, Milorad Dodik soulignait que cette situation pouvait mettre à bas le consensus, né des accords de Dayton sur l’amnistie des combattants islamistes à la fin de la guerre de Bosnie([35]). Plus que jamais, ces derniers sont à l’origine des réseaux de recrutement et d’endoctrinement djihadistes dans les Balkans qui risquent de monter en puissance avec l’arrivée massive de réfugiés de guerre syriens sur les côtes grecques et macédoniennes  (175 000 depuis 2015) au sein desquels se trouveraient 3000 à 5000 terroristes, d’après le directeur d’Europol, Mr Rob Wainwright.

III- La Crise des Migrants : un risque potentiel de radicalisation et d’internationalisation des tensions en Macédoine.

L’arrivée des 175 000 migrants depuis 2015 constitue une nouvelle menace à laquelle doivent faire face les autorités macédoniennes à plusieurs niveaux :

Tout d’abord  l’origine des migrants et le fait qu’ils étaient confrontés directement à la guerre dans leur pays et à l’exil, les rend plus vulnérables à la propagande islamiste. De plus, au niveau ethnico-religieux, leur présence contribue à renforcer la communauté musulmane en Macédoine,  majoritairement albanaise, d’ où un risque que ces migrants soient directement recrutés par des réseaux islamistes en Macédoine. Parallèlement, cela favoriserait indirectement  le séparatisme albanais  car ce dernier est impliqué dans le trafic d’êtres humains et conduirait à un embrasement de la Macédoine et des Balkans . Ceci est d’autant plus vrai avec l’infiltration de terroristes  au sein de ces réfugiés  de guerre. En effet, au mois de mars 2015, un fonctionnaire de l’UBK ([36])a révélé à l’Union Européenne, la présence sur son territoire d’un certain nombre d’individus impliqués dans le terrorisme islamiste  notamment Lavdrim Muhaxeri, ancien combattant de l UçK  et chef des djihadistes albanais kosovars présents en Syrie, ce qui prouve l’implication de l’UçK dans l’organisation de réseaux islamistes au Kosovo([37]).

Ensuite, il faut considérer aussi la fragilité des migrants et assurer leur survie, situation que les autorités macédoniennes ne peuvent supporté seules, ce qui nécessite une aide massive de Frontex et des agences spécialisées de l’UE et de L’ONU. De fait, un renforcement du contrôle aux frontières et une amélioration  de la coopération en matière de renseignement ainsi que des opérations entre services de police européens et balkaniques doit s’imposer comme une priorité stratégique dans la lutte contre le terrorisme djihadiste. Dans sa dernière étude publiée, au mois d’avril mai 2016, l’ AISE([38]) confirme la prégnance du terrorisme djihadiste  et le rôle de pivot central des Balkans dans le recrutement et l’envoi de combattants djihadistes à destination de la Syrie et de l’Europe([39]). De même  un déploiement de forces militaires  et de membres des services de renseignement européens ainsi que  la mise en place de coopérations  avec les forces armées et les services de renseignement macédoniens , à l’image de l’opération Proxima, est aussi à prévoir  si l’UE et son agence de surveillance des frontières  FRONTEX,  veulent éviter l’implosion de la Macédoine. Ce dernier scénario déboucherait sur une nouvelle crise balkanique risque de survenir rapidement car le 28 juillet 2016,le président macédonien Gjorge Ivanov déclarait que des attaques terroristes étaient à redouter en Macédoine et dans le reste des Balkans, car la MIA([40]) a repéré 1000 ressortissants des pays balkaniques qui ont combattu en Syrie du côté des terroristes djihadistes et 60% d’entre eux seraient déjà rentrés dans leur pays respectifs([41]).